THE BEATLES // I Want You (She's So Heavy)

Abbey Road fut le tout premier album que je me suis acheté avec mes tous premiers deniers & je dois dire que je n'ai jamais été déçu par cet investissement. I Want You (She's So Heavy), qui cloture la Face A, n'était alors pas ma chanson préférée de l'album - trop torturée, trop flippante pour le fan de guimauve-pop-façon-McCartney que j'étais à l'époque (j'avais 11 ans... mais ça n'excuse pas tout... comme le dirait Belane: "C'est mon côté sucré"). Pourtant, aujourd'hui à 28 piges, c'est devenu une des mes références ultimes de tout l'univers en entier. Voilà pourquoi. Voilà comment...



I want you... dumdum... dumdumduuum... She's so.... Heavyyyyy!

... comment des mecs qui ne pouvaient presque plus se supporter ont réussi le tour de force de se retrouver en studio pour enregistrer un sacré disque & pas des moindres? Rien que cette question mériterait à elle seule un blog libre & indépendant mais là n'est pas le problème de ce post qui révolutionnera sans doute les perceptions musicales & philosophiques de bon nombres d'entre vous. Ca n'est donc pas le sujet mais ça a le mérite de poser l'ambiance. Abbey Road sortit avant Let It Be mais fut enregistré après; la faute aux disputes concernant la production (George Martin qui se barre en plein enregistrement, Lennon & Harrison qui portent, dans le dos de McCartney, les bandes à Phil Spector pour qu'il y fasse dégouliner son wall of sound - écoutez les deux versions de Across the Universe - les chamailleries sans fin à propos de leurs nouveaux managers, Klein pour Lennon contre le beau-frère de Macca etc etc...) & tout un tas de délires d'egos cloisonnés depuis trop longtemps dans les quelques studios d'EMI. Pourtant de ce bordel obscur & électrique est né un chef d'oeuvre & tous les mythes qui l'accompagnent (pochette cultissime, mort fantasmée de McCartney, rumeurs incessantes sur l'implosion du groupe parce que tout ça c'est la faute à: 1) Yoko 2) Linda 3) la coupe de cheveux de Lennon...) & dans ce trésor une perle noire: I Want You (She's So Heavy).
Avant de rentrer dans le lard il est important de remarquer que cette chanson est l'une des meilleures preuves de la cohésion musicale des Beatles. Ici, tout le monde est à sa place: Lennon tient sa guitare sauvage au mieux, Harrison est là pour la technique & la mélodie inimitable du groupe, McCartney fait trembler sa basse comme un chevalier de l'Apocalypse & Ringo... Ringo sera toujours Ringo pas vrai... Vous savez, cette chanson aurait pu être une véritable merde. La ligne mélodique est un cercle infernal & redondant tandis que les paroles du morceau sont contenues toutes entières dans le titre. Mais de toutes les conneries que la fixation de Lennon pour Yoko Ono lui a inspiré(The Ballad Of John & Yoko, Oh Yoko!, Yoko-machin-chouette ou encore Yoko Va Faire Ses Courses) I Want You (She's So Heavy) est de loin (& dans cette histoire ça se compte en milliards de kilomètres) la meilleure, la plus complexe &, tout simplement, la plus belle de toutes.



Les Beatles se sont risqués à developper un riff unique mais en l'emberlificotant de différentes tonalités plus ou moins rapides revenant à différent moments dans la chanson. Le morceau démarre pépère, sur un rythme moins anondin qu'il n'y parait &, rendons pour une fois justice à Ringo, sa batterie est impeccable. Tout se passe pour le mieux (Je te veux, je te veux babyje te veuxjete veux babyjeteveuxbaby tu es si ....) jusqu'au refrain (... louuuuurde... heavyyyyy! ) qui fait tonner les guitares comme le Seigneur Tout Puissant l'orage sur le monde abandonné aux idoles. Puis vient le fameux pont.



Certains diront que c'est une infamie de comparer les Beatles aux Doors & c'est pourtant ce que je m'apprête à faire... pour ce morceau en tout cas. D'une manière générale, outre la personnalité saturée de charisme de Morrison, ce qui m'a toujours plus chez les Doors c'est la capacité qu'ils avaient à s'adapter aux abscences de leur chanteur. Je pense notamment, mais ça n'est pas la seule fois loin s'en faut, au Live In Hollywood enregistré en juillet 1969 (soit deux mois avant que les Beatles n'entrent en studio pour les premières prises d'Abbey Road). Le groupe va attaquer Soul Kitchen, Ray Manzarek fait ses trois notes d'intro avant que Densmore ne tape un bon coup pour rameuter Krieger & on attend... on attend... on attend que Morrison se mette à chanter mais apparemment toto n'est pas très pressé de s'y mettre. On entend même un type dans la foule qui hurle "Take your time!". Le roi Lézard ne se fait pas prier & les trois autres se trouvent obligés de se lancer dans une impro. Faut dire qu'ils y étaient habitués. Quel est le rapport avec les Beatles vous allez me dire? Eh bien, Lennon leurs fait le même coup fourré sur le pont de I Want You (She's So Heavy). A la base, la ligne mélodique du passage n'était que très sommairement écrite. Lennon voulait juste un "calme avant la tempête". Soit. Il n'en faut pas plus aux Beatles pour se donner un pur moment jazzy. Je le répète encore une fois parce qu'à l'écoute (& le passage est assez court) ça ne s'entend pas: le pont est une pure improvisation, tout comme le reste d'ailleurs. Au moment où ils se remettent à hurler "She's so heavyyyy" ils gardent la même ligne mais en l'accélérant. La basse de McCartney est fantastique tout comme la guitare de Harrison, tout comme le clavier de Billy Preston venu ajouter un petit côté soul qui balance. Mais l'orage approche. Un dernier "She's So Heavyyyyy" &, que tous les saints du calendrier nous pardonnent, le noir absolu sort des baflles dans un riff hypnotique & décuplé sur lequel Lennon & Harrison ont rajouté des sons de guitares mixés à l'envers & une tartine de parasites en veux tu en voilà qui donnent à la fin de la chanson des allures de fin du monde en direct d'une tempête au pôle nord. & puisPAF! tout s'arrête, d'un coup d'un seul. "Après un bruit énorme, il n'y a rien de plus fascinant que le silence le plus complet" c'est ce que dit George Martin en parlant de la fin de I Want You. La face B commence par Here Come The Sun. Le soleil après l'orage. Mais c'est déjà une autre histoire.

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